Rosalía, conquistador de la pop mondiale
Célébrée par Shakira, Billie Eilish et Virginie Despentes, la chanteuse espagnole de néo-flamenco, en concert à Paris dimanche 18 décembre, conquiert le monde et ses 550 millions d’hispanophones. Explications.
Par Fabrice Pliskin
·Publié le 18 décembre 2022 à 8h00·Mis à jour le 18 décembre 2022 à 20h06
Temps de lecture 4 min
Rosalía, conquistador de la pop mondiale
Rosalia. (Dr/Sony Music/Columbia Records )
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Célébrée par Shakira, Billie Eilish et Virginie Despentes, la chanteuse espagnole de néo-flamenco, en concert à Paris dimanche 18 décembre, conquiert le monde et ses 550 millions d’hispanophones. Explications.
Par Fabrice Pliskin
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Publié le 18 décembre 2022 à 8h00
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Mis à jour le 18 décembre 2022 à 20h06
Temps de lecture 4 min
C’est un phénoménal phénomène. A 30 ans, Rosalía impose son néo-flamenco à la planète. Avec son dernier album, « Motomami », elle est la première chanteuse espagnole à compter 1 milliard d’écoutes sur Spotify. L’impératrice colombienne Shakira l’adoube sur Twitter : « Rosi ! Mon pays et moi, on t’aime très fort. » En France, la romancière Virginie Despentes la célèbre comme « l’une des jeunes interprètes les plus importantes de sa génération », tandis que le site Konbini vous explique « pourquoi Rosalía est la meilleure artiste de tous les temps ». Ce qui est un peu cavalier pour Nina Simone. Elle s’est même vu confier (malgré sa fortune estimée à 49 millions de dollars) un rôle de blanchisseuse par Pedro Almodóvar dans le film « Dolor y Gloria ».
Pour se rendre inoubliable, elle a chanté « Lo Vas A Olvidar », en duo avec l’Américaine Billie Eilish, non sans imposer à la poétique Yankee son hégémonie linguistique. Et si quelques puristes l’accusent de s’approprier illégitimement des traditions gitanes et andalouses, il semble que cette Catalane de Barcelone peut tout se permettre. Chanter « Milionària » en catalan, si ça lui chante. Se changer en troubadour, ou plus exactement, en félibre : son deuxième album, qui était son travail de fin d’étude à l’Ecole supérieure de Musique de Catalogne, s’inspire de « Flamenca », un roman anonyme occitan de 8 085 vers octosyllabiques, paru au début du XIIIe siècle, à la cour du baron de Roquefeuil, seigneur du Rouergue.
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Avant son concert ce dimanche 18 décembre à l’Accor Arena Paris, écoutons l’expertise de Louis Lambilliotte, directeur artistique de Because Editions, qui administre les droits français de son premier disque :
« Rosalía s’inscrit dans la tradition flamenco, espagnole, autochtone, avec des accents gitans. Son premier album, “Los Angeles”, était un disque de flamenco, guitare-voix, très sobrement produit. Avec ses deux albums suivants, “El Mal Querer” et “Motomami”, elle se projette hors du marché espagnol, dans la sphère internationale. Elle garde certains codes du flamenco comme les claquements de mains, ce qu’on appelle les “palmas”, qui lui servent de percussions. Mais elle supprime presque toutes les guitares et elle opte pour les nappes sonores électroniques et la production futuriste, expérimentale du producteur espagnol El Guincho, qui produit aussi la rappeuse belge Lous and the Yakuza. El Guincho a joué un rôle primordial dans la reconnaissance de Rosalía. Avec le rappeur C. Tangana, son ex-petit ami et collaborateur. »
« Mi casa es su casa »
Au-delà de son talent, la domination de Rosalía s’inscrit aussi dans un moment d’hispanophonie triomphante. Un boulevard – plus long que les Ramblas – s’ouvre à sa gloire. Succès mondial de « Despacito », la chanson du Portoricain Luis Fonsi (2017). Explosion du reggaeton, ce genre musical né à la fin du XXe siècle de la rencontre des travailleurs immigrés jamaïcains et des musiques du Panama et de Porto Rico.
Aujourd’hui, même la K-pop de Corée du Sud se surprend à chanter en espagnol, la quatrième langue la plus parlée dans le monde après l’anglais, le mandarin et l’hindi. Rosalía parle donc, non seulement à l’Espagne, mais aux 550 millions d’hispanophones, en Amérique centrale, en Amérique du Sud, sans compter les 62 millions d’hispanophones des Etats-Unis, où l’on trouve plus de locuteurs qui parlent espagnol qu’en Espagne.
Rosalía ? « Mi casa es su casa », lui dit la planète. « Au risque, parfois, de s’affranchir de sa singularité au profit d’une musique plus commerciale », dit Lambilliotte, cette conquistador a construit son succès international, méthodiquement, à coups de collaborations aussi réfléchies que virales, en langue espagnole : « Brillo », avec le chanteur colombien J Balvin, celui qu’on surnomme le prince du reggaeton. « La Noche de Anoche » avec le Portoricain Bad Bunny, autre demi-dieu du reggaeton. Citons aussi « la Fama », une néo-bachata où le Canadien The Weeknd délaisse son anglais maternel pour chanter en espagnol sororal. « TKN » avec le rappeur américain Travis Scott. Ou encore « Me Traicionaste » avec le rappeur américano-péruvien A. Chal, enregistré pour « For The Throne », la (médiocre) BO de la série « Game Of Thrones ».
Moto-meuf
Rosalía Vila Tobella, née en 1992, a grandi à Sant Esteve Sesrovires, une petite ville située à 40 kilomètres au nord-ouest de Barcelone. Divorcés, ses parents ont longtemps travaillé à Suprametal, l’entreprise familiale qui, depuis 1967, fabrique des plaques d’immatriculation et des étiquettes en métal. Mais Rosalía n’a rien d’une dame de fer. Dans son pays natal, sa fluide féminité alimente des Mémoires universitaires comme celui-ci :
« La néo-libération du féminisme dans l’industrie culturelle : la construction discursive de Rosalía comme icône du mouvement féministe. »
Voyez comme cette icône se représente sur la couverture de son disque « Motomami ». « Motomami » ? Signification : moto-meuf. Interprétation : la femme est le moteur de l’Histoire. Détournement de la Vénus de Botticelli, réanimée par l’esthétique manga, ce portrait est un manifeste. Casquée comme une Athéna badass descendue de sa Harley-Davidson, Rosalía y pose nue, mais sans cette hypersexualisation super-héroïque dont les rappeuses, avec une science magistrale, ont trouvé le secret. Pudeur crâne, hardie, paladine, une main sur les seins, l’autre sur la chocha. Force tranquille d’une féminité sans entraves, entre deux « roue arrière » transcendantales. On dirait l’allégorie d’un monde où le féminisme aurait définitivement gagné.
La figure de la bikeuse domine aussi son clip « Saoko », filmé à Kiev avant la guerre. Rosalía y incarne la cheffe cagole d’un gang de motardes avides de rodéos, symbole conventionnel d’une radicalité grand public. Dans cette chanson, elle fait sien le nouveau catéchisme de la fluidité et chante avec une gracieuse frénésie : « Je ne suis qu’à moi, je me transforme/Un papillon, je me transforme/Maquillage de drag-queen, je me transforme/Comme la sirène du sexe, je me transforme/Je me contredis, je me transforme/Je suis tout à la fois, je me transforme… ». Et, en effet, sans doute se contredit-elle. Si, par sa démonstration de puissance et de charmes, cette vidéo a de quoi séduire un esprit féministe, les personnes antiféministes n’y seront sans doute pas insensibles : elle multiplie les gros plans callipyges.
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